Secrète fêlure : la mélancolie élégante et légère de Paul-Jean Toulet (1867 -1920)




 "Quel orgue, une âme d'enfant, jusqu'à la première femme qui en joue et le fausse."  [4 avril 1904]

 

Un poète méconnu et sous-estimé.

     Paul-Jean Toulet (Pau, 1867-Guéthary, 1920) perd sa mère peu après sa naissance, il passe sa première enfance chez une tante à la villa " Mauricia " de Billère. Il est l'un des poètes les plus aigus et les plus brefs de la littérature française ; peu connu du grand public, il a toujours suscité des admirations en haut lieu, en France (du Président Pompidou à beaucoup d'Académiciens actuels et à l'étranger l'Argentin Borges, le poète Libanais Salah Stétié qui admirent sa " perfection ").

    C'est aussi un maître de la prose poétique. Toulet est encore romancier, un moraliste sombre, un critique à la fois profond, rêveur et désinvolte. Après des études itinérantes et capricieuses, il passera sa jeunesse en Béarn (Carresse), à l'île Maurice chez son père, en Algérie ; il s'établit de 1898 à 1912 à Paris, dont il est une figure brillante, acerbe, noctambule (il se lève tous les jours à quatre heures de l'après-midi); puis se replie sur l'Aquitaine (Saint-Loubès, près de Bordeaux, puis à partir de 1916 à Guéthary chez sa femme, qu'il a épousée à 49 ans).

    Opiomane invétéré, il meurt à Guéthary (où il sera inhumé) d'une overdose de laudanum, substance proche de l'opium, pour les uns, d'une hémorragie cérébrale selon d'autres sources. Il avouait sans ambages que ce qu'il avait le plus aimé au monde, c'était " les femmes, l'alcool et les paysages ".

    Etiqueté de « poète fantaisiste », ce qui est souvent perçu par les non-initiés comme quelque peu méprisant, Paul-Jean Toulet et son écriture très sensible ne méritent certes pas un tel traitement de la part de la critique ni du grand public. Il suffit de lire ses textes pour découvrir l’hyper-sensibilité du poète ainsi que son extrême élégance… Ce groupe d'auteurs dits "fantaisistes" réunissait d'ailleurs d'autres grands sensibles comme Tristan Derème, Francis Carco, entre autres, qui avaient tenté dans ce mouvement de donner un souffle nouveau à la création poétique et littéraire lorsque le courant symboliste s'était retrouvé à bout de souffle... Après un engouement assez vif, la fantaisie fut, non pas démodée, mais balayée par l'ouragan de la première guerre mondiale, de ses affres et conséquences...

    Le critique Maurice Rat n'en définissait pas moins les « poètes fantaisistes », héritiers des « symbolistes décadents », en réhabilitant l’adjectif : « La fantaisie… c’est d’être, tour à tour et parfois en même temps, narquois et tendre, grave et léger, joyeux et triste. C’est enchanter, en le chantant, son mal. C’est de cueillir les roses en sachant qu’elles se fanent, et d’en faire une guirlande pour les nouer au ciel gris… C’est, comme Tristan Derème, de fleurir la route où est passée une humaine douleur. »   

 

 

Petit parcours de poèmes :

 

A.    Extraits des Contrerimes (1920)

     

Nocturne.

Ô mer, toi que je sens frémir
À travers la nuit creuse,
Comme le sein d’une amoureuse
Qui ne peut pas dormir ;

Le vent lourd frappe la falaise...
Quoi ! si le chant moqueur
D’une sirène est dans mon cœur -
Ô cœur, divin malaise.

Quoi, plus de larmes, ni d’avoir
Personne qui vous plaigne...
Tout bas, comme d’un flanc qui saigne,
Il s’est mis à pleuvoir.






Douce plage où naquit mon âme ;
Et toi, savane en fleurs
Que l’Océan trempe de pleurs
Et le soleil de flamme ;

Douce aux ramiers, douce aux amants,
Toi de qui la ramure
Nous charmait d’ombre et de murmure,
Et de roucoulements ;

Où j’écoute frémir encore
Un aveu tendre et fier-
Tandis qu’au loin riait la mer
Sur le corail sonore.








La vie est plus vaine une image
Que l’ombre sur le mur.
Pourtant l’hiéroglyphe obscur
Qu’y trace ton passage

M’enchante, et ton rire pareil
Au vif éclat des armes ;
Et jusqu’à ces menteuses larmes
Qui miraient le soleil.

Mourir non plus n’est ombre vaine.
La nuit, quand tu as peur,
N’écoute pas battre ton cœur :
C’est une étrange peine.



B.    Extraits des Chansons.
I 
Romances Sans Musique. 

 
[Partie I]

                                       En Arles.

Dans Arle, où sont les Aliscams,
Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,


Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton cœur trop lourd ;


Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas, si c’est d’amour,
Au bord des tombes. […]



II

Le tremble est blanc.

Le temps irrévocable a fui. L’heure s’achève.
Mais toi, quand tu reviens, et traverses mon rêve,
Tes bras sont plus frais que le jour qui se lève,
Tes yeux plus clairs.


À travers le passé ma mémoire t’embrasse.
Te voici. Tu descends en courant la terrasse
Odorante, et tes faibles pas s’embarrassent
Parmi les fleurs.


Par un après-midi de l’automne, au mirage
De ce tremble inconstant que varient les nuages,
Ah ! verrai-je encor se farder ton visage
D’ombre et de soleil ?



III

Longtemps si j’ai demeuré seul,
Ah ! qu’une nuit je te revoie.
Perce l’oubli, fille de joie,
Sors du linceul.


D’une figure trop aimée,
Est-ce toi, spectre gracieux,
Et ton éclat, cette fumée
Devant mes yeux ?


Ta pâleur, tes sombres dentelles,
Le bal qui berçait nos pieds las,
Un corps qui plie entre mes bras :
Je me rappelle...
 


C.    Extrait des Coples 1.

Le sable où nos pas ont crié, l’or, ni la gloire,
Qu’importe, et de l’hiver le funèbre décor.
Mais que l’amour demeure, et me sourie encor
Comme une rose rouge à travers l’ombre noire.
 

Note : 1 Copla (esp.) ou Cople = Court poème lyrique, élégiaque ou amoureux.



D.    Extrait des Vers inédits


As-tu peur de la nuit qui tombe ?
Enfant, n’écoute pas
Ce creux qui sonne sous nos pas :
C’est peut-être une tombe.



E.     Extraits des Premiers vers 



Si les enfants savaient ils n'aimeraient pas vivre,
Voyageurs inquiets qui doutent du vaisseau,
Et s'ils doivent encor s'embarquer et poursuivre,
Braver le ciel changeant, la mer et leur assaut.


Je ne sais quel espoir les flatte et les enivre,
Ni quels anges menteurs entourent leur berceau,
Dérobant à leurs yeux l'inéluctable livre,
Le livre amer des jours, fermé d'un triple sceau.


Vous, dont un pays tiède abrite la jeunesse,
Vous ignorez encor le doute et la tristesse,
Satisfait de grandir sous un ciel indulgent.


Un jour, vous connaîtrez l'Europe aux froides bises,
La vieille Europe où l'homme entend couler le temps.
La vieille, triste, morne Europe aux heures grises.







Ce n'était qu'un enfant un peu voluptueux :
Les parfums, la musique, la chair délicate des femmes
Troublaient ses sens entr'ouverts, et déjà les yeux
Des femmes jetaient un sort au fond de son âme.


Et c'était un jour d'été, torride et blanc.
Le salon était frais et obscur, des fleurs odorantes
Embaumaient sur les tables. Dans l'air se mourait frémissant
Un chant étranger. Et la dame aux mains charmantes.


La dame aux blanches mains, aux yeux clairs,
Se dressait, pareille au lys qui vient d'éclore,
Pareille à un rare, onduleux oiseau des mers
Qui se pose, et dont les ailes palpitent encore.


Du dehors le jour cru rayait les persiennes: nul bruit
Que le bec du pic martelant la marche des heures,
Et lui, l'enfant, son cœur fondait comme un fruit
Auprès de la dame aux yeux clairs, dans la fraîche demeure.




 



Ce n'est pas drôle de mourir
Et d'aimer tant de choses :
La nuit bleue et les matins roses,
Les fruits lents à mûrir.


Ni que tourne en fumée
Mainte chose jadis aimée,
Tant de sources tarir ...


O France, et vous Ile de France,
Fleurs de pourpre, fruits d'or,
L'été lorsque tout dort,
Pas légers dans le corridor.


Le Gave où l'on allait nager
Enfants sous l'arche fraîche
Et le verger rose de pêches.








Pour poursuivre, une émission originale:
httfranceculture.fr/emissions/lexperience/a-paul-jean-

 L'émission de France-Culture en 1967, animée par le poète Michel Manoll:

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