Pier Paolo Pasolini contre le fascisme de consommation.






   Pour le poète, la société de consommation, qui advient au début des années 1970, forme un nouveau fascisme, bien plus puissant que sa version traditionnelle. Alors que sous Mussolini, les différentes composantes de l’Italie populaire (prolétariat, sous-prolétariat, paysannerie) avaient réussi à conserver leurs particularismes culturels, le “fascisme de consommation” a homogénéisé les modes de vie comme jamais auparavant. Dans ses Écrits corsaires (Scritti corsari), publiés quelques temps après son décès (1976), Pasolini affirme :« Le fascisme avait en réalité fait d’eux [les classes populaires] des guignols, des serviteurs, peut-être en partie convaincus, mais il ne les avait pas vraiment atteints dans le fond de leur âme, dans leur façon d’être. » Contrairement à la société de consommation. Celle-ci, en promettant un confort illusoire, a « transformé les jeunes ; elle les a touchés dans ce qu’ils ont d’intime, elle leur a donné d’autres sentiments, d’autres façons de penser, de vivre, d’autres modèles culturels » et ce, « grâce aux nouveaux moyens de communication et d’information (surtout, justement, la télévision) ». L’âme du peuple a ainsi non seulement été« égratignée, mais encore lacérée, violée, souillée à jamais » par le “fascisme de consommation”.

  Le philosophe Olivier Rey dans l’ouvrage collectif Radicalité – 20 penseurs vraiment critiques (2013) tempère cependant que « l’emploi que Pasolini fait du terme “fascisme” est contestable », ne serait-ce que parce que, comme l’explique l’Italien lui-même, « le capitalisme contemporain fonctionne désormais beaucoup plus grâce à la séduction qu’à la répression ». Une formule qui n’est pas sans rappeler les travaux du sociologue communiste français Michel Clouscard, qui explique à ce sujet que « la séduction, c’est le pouvoir du langage indépendamment du concept, indépendamment de la sagesse. À un moment donné, un discours peut apparaître ayant le pouvoir d’anéantir l’être : c’est le discours du paraître, le discours de la séduction. La vérité en tant que telle est alors recouverte. »
  Pasolini s’intéresse à cette perte des repères identitaires qui finit par gruger les fondations d’une société déshumanisée par le passage en force du nouveau capitalisme apatride des années d’après-guerre. Il n’hésite pas à parler de « révolution anthropologique » et va jusqu’à affirmer « que l’Italie paysanne, ouvrière et paléo-industrielle s’est défaite, effondrée, qu’elle n’existe plus, et qu’à sa place il y a un vide qui attend sans doute d’être rempli par un embourgeoisement général, du type que j’ai évoqué … (modernisant, faussement tolérant, américanisant, etc.) ». La pensée du marxiste Pasolini nous est d’autant plus précieuse en ces temps où le capitalisme triomphant dans nos sociétés occidentales domestique et lamine, en leur ôtant, en contrepartie de rêves marchandés, leurs véritables dignité et identité, ses sujets, qui méritent mieux en fait le nom de consommateurs que celui, tant utilisé, de citoyens. A lire, à ce sujet, sur le même blog, l’article sur Paul Nizan contre « l’Homo Economicus ».

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