Hystérie, opiums du peuple...

     A moi l'histoire d'une de nos folies, pour parodier Rimbaud... Ou plutôt d'une folie de nos médias, qui croient, à grand tort, être représentatifs des français. Le 6 décembre 2017 laissera son empreinte dans l'histoire des médias français. Pourquoi donc ? Parce que ce jour-là, la traditionnelle Saint-Nicolas a été transformée en Saint-Johnny ! Ce mercredi de décembre, le chanteur le plus populaire de France s'est effectivement éteint, miné par le mal du siècle. Ne barguignons pas, c'est vrai qu'il a accompagné beaucoup de français au fil de son répertoire, et puis l'homme était sympathique, animé d'une forte personnalité qui s'exprimait essentiellement par son langage physique et que les Guignols de l'Info avaient largement transmué en légende. Mais quelle hystérie s'est emparée des médias ??? Au point que si le citoyen voulait être informé de ce qui se passait dans le monde, il fallait qu'il s'exile sur les chaines étrangères, Euronews, par exemple, ou, en se montrant très patient, sur France-Info, même si cette chaine elle-même n'a pas tout-à-fait constitué une exception à la règle... Pourtant, le même jour, Donald Trump annonçait qu'il reconnaissait Jérusalem comme capitale d'Israël, ravivant du même coup les braises du long et gravissime conflit moyen-oriental... Le journal de France 2 n'a développé, durant quasiment deux heures que les épiphénomènes du décès du Johnny national... Les médias ont donc perdu la raison et tout sens de la mesure, mais pourquoi ? 

     Pas sûr que ce soit dans l'intention de passer du baume sur la peine, sincère et touchante, des fans du chanteur, non, c'est bien plus sûrement motivé par la course à l'audimat, c'était à qui ferait la plus spectaculaire, la plus longue, la plus remarquée recension de l'événement... L'information même a d'ailleurs été malmenée, les sondages questionnant les français ne mettaient en scène que des français se laissant porter par cette vague d'hystérie. Et on a tout entendu, entre autres sucreries et sirupeuses gelées: "Johnny au Panthéon", "Des obsèques nationales pour Johnny", "Johnny à l'égal de Victor Hugo", bref, beaucoup d'énormités pour qui sait raison garder... On se demande même, si notre Johnny national avait entendu tout cela, s'il n'en aurait pas ressenti comme une gêne ou une sorte de vague écoeurement, car l'homme avait le sens des réalités et plus de pudeur que beaucoup de ceux qui se sont exprimés à tort et à travers dans les médias.

    Une députée d'En Marche a même osé comparer Johnny à Victor Hugo, donc... Que penser de cette analogie sinon qu'elle ne peut être recevable ? L'un est un immense écrivain, grande conscience politique et sociale de son temps, qui a combattu les iniquités commises par Napoléon III au prix de lourds sacrifices personnels (l'exil, le renoncement durant tout ce temps à la gloire qu'il avait pourtant acquise), un authentique créateur, Johnny étant plutôt un interprète qui a du ses chansons à des compositeurs et paroliers, certes bien choisis... et n'ayant guère fait entendre sa voix au profit du peuple de France sur le plan politique ou social. Cette dame aurait mieux fait de comparer Johnny à Edith Piaf, comme lui, interprète à la voix singulière et remarquable, comme lui immense présence scénique, comme lui compagne de route du français moyen dans sa vie de tous les jours.

   Quant à ceux qui ont clamé sur tous les tons que Johnny était un "héros", ils feraient mieux de se pencher sur la définition que donne le dictionnaire de ce mot, dans laquelle il y a le critère d'"exemplarité". Ce serait mentir effrontément de prétendre que notre Johnny familier le fut ! Beaucoup l'ont rappelé sur les réseaux sociaux, il ne le fut pas fiscalement, ne contribuant plus depuis longtemps à l'effort public que consent tout citoyen par le biais de l'impôt, hésita un temps entre la nationalité française et belge, ce qui ne montre pas nécessairement un attachement viscéral à la nation, ou à son peuple... mais qu'importe, là n'est pas le problème et mon objectif n'est pas de faire une quelconque morale, car Johnny lui-même n'a jamais prétendu être un héros, comme il le chanta si bien en reprenant la chanson pour lui écrite par Daniel Balavoine. Non, ce sont les médias qui ont besoin de sa légende pour se faire reluire et qui l'amplifient au-delà du juste et du raisonnable, au mépris de la vérité, de la réalité aussi.




    Qu'ont-ils fait de Johnny ? C'est ce qu'ils devraient, honnêtement, se demander en toute conscience... En jouant de la sorte avec sa légende, ils en ont fait un opium du peuple, drogue dure transfusée durant quarante-huit heures, et plus si affinités, jusqu'à la saturation, jusqu'à l'overdose ! Ils l'ont instrumentalisé, lui, mais aussi ses proches, fatalement, à leur strict et propre profit, et à celui du pouvoir, qui ne s'est pas fait prier pour reprendre en choeur, du chef de l'Etat au dirigeant du mouvement En marche, les sirupeuses mélopées dont ils circonvenaient téléspectateurs et auditeurs anesthésiés. Pendant ce temps, le brave et bon peuple, focalisé sur cette nouvelle dramatique et ses corollaires, oublie ses problèmes, a l'attention captée, oublie les dégâts occasionnés par les êtres irresponsables ou corrompus qui dirigent le monde, son économie, sa géopolitique... L'hystérie des médias est un moyen comme un autre dans l'arsenal de ceux qui nous enfument tous et tous ceux, toutes celles qui y participent devraient prendre un peu de recul et réaliser à quel point ils sont les pantins d'une bien indigeste farce... Il ne reste plus qu'à souhaiter que notre Johnny national trouve, malgré cette lourde pantomime à laquelle ils se sont livrés, la juste paix des braves qu'il a bien méritée.

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